C’est la première fois que je m’adresse directement à vous et je regrette de ne pas l’avoir fait plus tôt. C’est aussi ma manière de fêter dix ans de vie commune avec notre fidèle locataire au moment où je commence à écrire.
Et Noces d’étain ne riment pas toujours avec chagrin.
Voici le message que j’aurais aimé vous envoyer, au début du bail de location :
Chers neurones,
Je suis au regret de vous informer que mon système immunitaire est devenu fou.
L’on pourrait arguer d’une fake-news, mais la nouvelle est confirmée par plusieurs sources sûres. Le principal fauteur de trouble serait identifié en la personne du lymphocyte T, dit aussi le Lymphocyte Tueur.
En pensant s’attaquer à un virus extérieur, il enflamme les câbles qui vous relient aux autres neurones et détruit ainsi au chalumeau la gaine de myéline qui protège les axones, canaux de transmission de l’influx nerveux.
Résultat : le message électrique passe moins bien dans la zone touchée. Autant vous dire qu’entre le cerveau et la moëlle épinière, le terrain de jeu est phénoménal et que l’arbitrage a déserté depuis longtemps ces tournois sans loi, aux allures d’autodafé.
Alors voilà, l’Inquisition a débarqué.
Pour qui ? Pour nous.
Pourquoi ? On ne sait pas.
Le principe de l’Inquisition, c’est de frapper à l’aveugle, sans aucune idée de justice ou de discernement. La recherche n’a pas réellement déterminé les causes de ce sabotage, proche du mécanisme du harcèlement : attaques répétées avec possibilité de périodes de rémission.
Ce torpillage a un bien vilain nom. Sclérose en plaques.
Elle évoque le durcissement et le rétrécissement d’une part, le verglas d’autre part. C’est pour cela que les sigles ont été inventés. Ils permettent une petite connivence affective et ouvrent d’autres horizons. Dans notre cas, avec la SEP, on peut penser à la cueillette des champignons par exemple, avec la bonne odeur humide et végétale des sous-bois. Avouez que ça donne plus envie, non ?
Non ? D’accord.
Reprenons le mécanisme d’action des lymphocytes T, avec l’ajout d’un détail presque amusant dans un autre contexte : ces tueurs sont aussi nos sauveurs. Ce sont eux qui s’occupent de réparer les dégâts de la myéline qu’ils ont eux-mêmes causés donc attention de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Imaginez un peu : vous vous baladez tranquillement dans la rue quand un cinglé vous attaque au lance-flammes, entre les Galeries Lafayette et la FNAC. Vous vous transformez en bûcher ambulant juste parce que vous l’avez croisé au mauvais moment. Et là, pof ! Le pyromane se transforme en pompier et le lance-flamme se convertit en lance-eau. C’est même lui qui vous emmène à l’hosto dans sa voiture…
Alors, mes chers neurones, vous avez compris ? On a affaire à du très très lourd et il va falloir se mettre en rang de bataille.
D’abord, je peux dire que la première inflammation sera très violente car l’ennemi voudra frapper fort et pratiquer la politique de la terre brûlée. Il y aura des torches vivantes parmi vous, je préfère vous prévenir.
Un conseil : mettez le paquet sur la sécrétion d’hormones positives ! Le rire, l’harmonie, la joie seront vos meilleurs alliés pour combattre. Ne sous-estimez pas le pouvoir de la sérotonine, des endorphines, de la dopamine et de l’ocytocine : à elles quatre, elles peuvent contrebalancer les délétères décharges de cortisol – hormone du stress- terreau des inflammations neuronales.
Surtout ne vous relâchez pas : les périodes de rémission ne devront pas vous faire oublier le changement de regard imposé par ce bouleversement personnel. L’ode au moment présent, la vision positive, le recentrage sur les priorités de vie vous ont été paradoxalement livrés aussi avec l’épreuve. Ici, le poison est lié au remède, comme pour le pompier pyromane. Alors gardez le bénéfice de votre évolution personnelle même quand tout ira bien.
Cultivez l’Espérance tout en vous gardant des illusions de l’espoir : soyez confiants dans votre capacité à vous adapter à ce que la maladie vous réserve sans cultiver l’idée d’être définitivement guéri un jour.
La SEP est imprévisible, dans un sens comme dans l’autre et elle va vous apprendre à lâcher-prise tout en restant combatifs. Il n’y a pas deux évolutions identiques. C’est là le drame mais aussi la force de l’épreuve.
Je vous souhaite d’avoir la sérénité d’accepter ce que vous ne pouvez changer, le courage d’agir sur les choses de votre ressort et la sagesse d’en connaître la différence.
Surtout enfin, mes Neurones Chéris, faites bosser vos relations, « réseautez » à max dans le bon sens du lien authentique !
Nous sommes programmés pour être en relation les uns avec les autres et l’empathie est un puissant ciment. Ce qui se joue à mon niveau, dans ma vie de tous les jours doit aussi se jouer à votre étage de l’infiniment petit : si un canal de transmission neuronale est attaqué, mobilisez-en un autre pour le même résultat.
La plasticité cérébrale est notre meilleure amie et il faudra agir comme elle, en pratiquant les chemins de traverse et l’ouverture aux itinéraires inconnus.
De jour en jour, prenez l’habitude de chercher, pour toute question, la réponse la plus incongrue.
Fuyez la routine et l’ennui.
Cultivez l’envie d’aimer, de connaître, de créer, d’admirer et de dire merci.
Amusez-vous… comme des fous. Et on verra bien ce qui arrivera.
Je vous aime
Sehbée
PS : Additif pédagogique pour neurones novices, qui ne vont rien comprendre après sinon.
Poussée (inflammatoire) : attaque massée de la protection de vos nerfs par une partie de vos troupes, qui a des lunettes en peau de saucisson. Comme le point marqué par le goal dans son propre but. Grosse fatigue devant un tel niveau de jeu et surprise du chef pour les symptômes., souvent transitoires.
Steppage (ou pied tombant) : Les problèmes d’influx nerveux font que la pointe du pied ne se relève pas tout le temps. La semelle de godasses neuves s’ouvre à l’avant après une semaine et vous contribuez donc à dynamiser l’économie de la chaussure. Chaque problème ayant sa solution, vous pourrez compter sur une orthèse et/ou des injections de toxine botulique -Le Botox- pour vous aider. Vous aurez en plus de belles gambettes toujours jeunes.
Fauchage : Imaginez la récolte du blé un jour ensoleillé d’été dans les années 1930. Votre pied est la faux qui avance par un mouvement circulairement latéral, de l’extérieur vers l’intérieur. C’est un réflexe pour éviter de « stepper » justement mais faites gaffe aux obstacles de type tuyaux de radiateur le long des plinthes : ils sont pour vous.
Spasticité : Certains de vos muscles se durcissent tout d’un coup. Pour nous, c’est le mollet, pour d’autres c’est la main. Presque rigolo si ça arrive au moment de la poignée de main avec votre boss. Il aura l’effet « pince de crabe » et ne pourra plus se dégager.
Rien d’exhaustif, bien sûr. Cela ne concerne que notre menu du jour.
Fin de la leçon de vocabulaire.
Comments