Le coup de foudre a eu lieu en mars 2010.
D’abord, passer le cap de la violence du diagnostic.
Qu’il soit susurré à l’oreille d’une voix chaude, chanté par un ténor avec une mandoline, froidement asséné ou simplement suggéré à grand renfort d’ellipses ou de termes médicaux incompréhensibles, il est toujours violent.
Lors de ma première hospitalisation, j’ai pu observer l’attrait de cette dernière option, celle de l’enfumage doux pour lisser le choc. Les sous-entendus ou le charabia technique sont au diagnostic ce que l’encens est à l’ambiance : une mise en condition.
Pour ma part, j’avais compris dès le début le nœud de l’affaire quand le médecin qui a analysé mon IRM m’a décrit une inflammation de la gaine de myéline, mi-gêné, mi-neutre. « C’est une sclérose en plaque ?
- Oui. »
Au moins, c’était clair, net, précis et ça m’allait bien, en tout cas sur la forme.
Merci docteur, c’est tout ce que je voulais savoir.
Sur le fond, on ne va pas se mentir, j’aurais préféré qu’il trouve un nerf un peu coincé que trois séances d’ostéopathie auraient réglé.
Le neurologue de ville qui me suivait a démenti par principe ce diagnostic alarmiste et a désavoué de telles pratiques explicites, quand bien même j’étais calme et contenue devant lui.
Je me souviens lui avoir demandé la stricte vérité sans ménagement car « vous voyez bien que je ne suis pas en train de piquer une crise sur votre tapis ». Il a regardé les clichés, s’est levé sans un mot vers sa bibliothèque et m’a donné un fascicule de labo pharmaceutique : « vivre avec la SEP ». Dans mon souvenir, une dame aux dents blanches souriait à l’objectif en faisant un footing. Ben alors, tu vois quand tu veux, tu peux le faire, à défaut de le dire…
Revenons à cette première hospitalisation, sordide, pour la fameuse ponction lombaire qui enfonce l’aiguille de la certitude du diagnostic déjà connu et pour les bolus de corticoïdes censés freiner l’inflammation (perfusions sur trois jours).
Coupure de chauffage à l’hôpital de jour en plein mois de mars quand le rez- de- chaussée des admissions est surchauffé, avec le flux et le reflux de l’ouverture des portes d’entrée. Coupes budgétaires, me dit-on. J’ai eu le droit de garder mon blouson sous les draps avant la ponction. Trop cool.
Une dame de 60 ans, agricultrice, était ma voisine de chambre et ne pouvait presque plus marcher. Fourmillements, douleurs etc… Elle venait de perdre son fils trentenaire (non, le stress n’est pas un facteur déclencheur, qu’ils disaient à l’époque) et présentait de nombreux symptômes d’une poussée de SEP mais chutt…. Le ballet des soignants à son chevet alternait des phrases très rassurantes : Tout va bien madame (ah bon ?), ça va aller (faut voir), on va continuer les examens (bon, ça oui, c’est votre partie) – avec un jargon médical abscons pour elle mais qui donnait bonne conscience sur la transparence due au patient.
Démyélinisation, syndrôme pyramidal, poussée inflammatoire…
Elle et son mari, complètement perdu lui aussi, ne pigeaient rien et c’était bien sur cela qu’il fallait compter.
J’ai demandé à un infirmier de s’approcher de moi et lui ai chuchoté : « vous allez finir par lui dire qu’elle a une SEP quand même, non ?
Réponse gênée : « ce sera à son médecin traitant de le faire. Ne dites rien. »
En même temps, je peux comprendre l’intérêt d’un lien plus privilégié pour le diagnostic. Pourquoi pas après tout, le jeu de la patate chaude refourguée n’est pas forcément lâche. C’est l’intention qui compte.
L’ironie de la situation a atteint son paroxysme quand la dame m’a demandé pourquoi j’étais là. Suite à ma réponse qui tenait en trois mots, elle a déployé le grand jeu de la brave voisine dénuée de tout sens psychologique et qui donne envie de se mettre une balle dans le caisson : « mais c’est terrible, vous êtes encore jeune… et avec des enfants ? …Trois ?... Quel âge ? … Mon Dieu ! (non,pitié, sortez-le de l’histoire pour l’instant , lui…) ; et comment vous allez faire ? Ah là là, ma pauvre, c’est quelque chose quand même. Je vous plains. »
Au vu de son incapacité potentielle à encaisser la même ardoise que la mienne, j’ai reconsidéré d’une autre oreille l’enfumage médical doux, la technique du temps laissé au temps, la prudence des mots et ai revu ma copie.
C’était plus sage que d’aller l’étouffer avec son oreiller avant de me défenestrer à13h, sous les yeux de Jean-Pierre Pernault (vivant en 2010) dont elle buvait les paroles et qu’elle dévorait du regard : l’adultère virtuelle et unilatérale ne nuit pas et le potentiel pouvoir curatif de JPP dans ce cas n’est pas à mépriser.
Quand on a survécu au diagnostic, il reste à affronter le pic et la lente décrue de la poussée inflammatoire qui laisse inerte sur un lit, écrasée par la douleur physique et la fatigue dont l’épaisseur est si spécifique à cette maladie.
Cet état où l’on ressent l’énergie qui nous quitte massivement, comme les rats quittent le navire.
Et quand on a presque récupéré de sa première poussée, notre rapport au monde change. Hier hémiplégique, je peux deux mois après remarcher et me servir de mon bras gauche à nouveau : c’est formidable. Chaque pas sur le trottoir est un vrai bonheur. Le massage à deux mains pour le shampoing ? Un cadeau de la vie. Eplucher des carottes devient un délice.
Certes, il y a la trouille de la survenue de la deuxième poussée, dont la datation dessinera l’évolution présumée de la maladie, mais la vie reprend ses droits. Tout ce qui était automatique, dû, évident ne l’est plus et je goûte chaque instant avec plus intensité.
La transfiguration du banal c’est quelque chose quand même. Cela permet de doper le moteur, sans procédés chimiques et de donner « l’envie de l’audace » (« l’audace de l’envie » marche aussi) .
Je me suis donc inscrite à des cours de rock, salsa, pour consolider ma rééducation certes, mais aussi pour me prouver que j’étais capable d’apprendre à danser. La fille « un peu raide » allait sacrément chalouper de la hanche en salsa cubaine, je vous le dis !
Cela a duré deux ans et la curiosité humaine fut autant nourrie que l’objectif moteur fut atteint. Un bon souvenir et un jalon supplémentaire dans la réappropriation de mon corps abîmé.
Cette première poussée vaincue m’a également donné la force d’affronter d’autres épreuves : un divorce aux forceps sans anesthésie, un étranglement financier et le terrain administratif d’un ulcère potentiel.
Dans cette configuration, soit on plonge soit on prend la tangente en s’appuyant sur l’enseignement de la poussée récente, sur la myéline réparée.
Courage, Espérance peuvent aussi être les messagers de la SEP.
Son imprévisibilité peut faire basculer dans la dépression ou au contraire dans l’acharnement à vivre intensément, en priorisant l’essentiel et en distinguant ce qui dépend de nous de ce qui n’en dépend pas. Optimisation de l’énergie, pensée positive, et… espoir secret d’être dans la bonne tranche statistique des sépiennes qui, au mieux, en resteront là, au pire, essuieront encore deux autres petites poussées avant amnésie définitive de la maladie.
La perspective de la phase secondaire est lointaine et bien repoussée. Je m’accroche aux chiffres : 50 % seulement des SEP rémittentes passent en phase progressive en 2010.
Avec un moral humoristico- résistant comme allié, j’espère à ce moment que la SEP ne s’attardera pas chez moi. Une romance passagère, ça me va très bien…
Et si on bascule un jour dans la "bad romance", ben, ce sera tant pis.
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