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Lettre à mes neuros

Dernière mise à jour : 7 sept. 2022


Mes chers neurologues,


Vous avez été trois à prendre soin de moi durant ces dix premières années de ma vie avec la SEP et j’ai des choses à vous dire, tranquillement là, au calme.


Je vais essayer d’être gentille parce que vous êtes très convoités. Quatre à six mois de délai pour un rendez-vous en cabinet de ville, cela laisse le temps de se préparer et de se pomponner pour le grand jour donc je ne vais pas tout faire foirer maintenant.


Quant au service neuro du CHU, vous êtes tellement peu nombreux que vous ne pouvez plus accueillir de nouveaux patients… c’est ce qu’on m’a dit les trois fois où j’ai voulu tenter ma chance au téléphone. Il faut dire aussi que je n’ai jamais appelé au bon moment. La maternité, la maladie et la mort sont passées vous rendre visite juste avant mes appels et dans les deux derniers cas, la compassion et la tristesse ont relégué mes états d’âme de sépienne au fond de l’arrière- boutique.


Un médecin, normalement, c’est comme une maîtresse d’école, ça ne meurt jamais,

non ?


Dominique, tu as été mon premier « neuro de ville » comme on vous appelle. Le fait que tu aies le même prénom qu’un de mes frères a créé à mon niveau un petit lien de familiarité dont tu n’auras jamais connaissance. Notre histoire a duré presque trois ans et tu ne peux pas imaginer l’impact professionnel de la couleur de tes yeux bleus. Je m’y suis baignée à chaque fois que j’en avais besoin. Cela pourrait d’ailleurs être un critère de choix des spécialités en internat : les yeux bleus, direction la neuro ou la cancéro s’il vous plaît, c’est là où ils vont le plus servir !

Les larmes salées se diluent bien dans le bleu iodé de l’océan.


Mais Dominique, je dois aussi te dire que ton iris a rattrapé pas mal d’embrouilles.

Tiens, la fois où je suis venue te voir après le premier IRM, en mars 2010 par exemple : Tu contestais le diagnostic du radiologue et tu n’as pas réussi à prononcer le mot SEP, tout en me donnant une brochure sur le sujet. C’est un peu comme si tu m’offrais une alliance avec un message : « ceci n’est pas une alliance ». C’est quoi le délire ? J’apprécie ce que fait Magritte avec sa pipe mais je ne suis pas trop dans l’ambiance, là. Et puis j’aime pas les bagues de toutes façons, encore moins les alliances, surtout quand c’est pour se maquer avec la SEP.


Ah oui, il y a la fois suivante aussi, deux mois après. Ma première et plus violente poussée inflammatoire en 2010 met des mois à se calmer malgré les corticoïdes et j’ai perdu le contrôle de mon bras gauche. Tu procèdes donc à l’examen clinique, au protocole immuable - sorte de signe de reconnaissance de tous les neurologues du monde. : le patient est en culotte/tee-shirt et il faut marcher quelques pas normalement, puis sur la pointe des pieds et enfin sur les talons. Charlie Chaplin presque à poil, en couleur et sans le chapeau.

Suivent le jeu des yeux qui louchent – suivez mon doigt – droite/gauche/haut bas et celui de l’école des clowns– je dois faire les mêmes grimaces que toi et j’ai trop envie de rire quand je vois ta tête.

Ce qui est étonnant dans ce protocole, c’est l’absence de sous-titrage. On me fait faire des défis de soirs de cuite sans m’expliquer à quoi ça sert. Je les ajoute donc moi-même, en dialogue interne mais franchement je pourrais aussi venir avec une bonne bouteille pour réchauffer l’ambiance et ajouter du piquant à l’examen.

Ce qui suit cette entrée en condition est très esthétique, corporellement parlant : yeux ouverts puis fermés, je dois toucher mon nez avec l’index en alternant les deux mains, de plus en plus vite.


Et c’est là que ça déconne.

Mon index gauche se retrouve sur mon front, ma joue droite, mon menton… mais pas sur mon nez. C’est horrible et j’étouffe un sanglot.

A ce moment- là, Dominique, je n’ai pas eu envie que tu me demandes avec étonnement « -Vous êtes émue ? ».

A ce moment -là, Dominique, j’ai eu envie de t’arracher les yeux, même bleus, avec ma main droite. « Emue, moi ? Non, pensez-vous, c’est une conjonctivite passagère doublée d’une salive mal avalée. »

Non mais, enfin, tu te rends compte de l’incongruité du ton de ta question ? De la mélodie déconnante qui arrive à mes oreilles ?


Quand on rencontre la SEP, c’est une vie qui bascule car on prend en pleine gueule des symptômes emballés dans des œufs Kinder : on ne sait pas ce qu’il y a dedans ni si on va réussir à reconstruire correctement le petit jeu en kit. Tu sais pourtant bien que la réparation de la gaine de myéline répond à la loi de la Loterie , qui est aussi celle du « Hand in cap , la main dans le chapeau » : des fois on gagne, des fois on perd. Et je n’étais pas vraiment bonne joueuse en 2010.


Alors oui, je suis émue par la prise de conscience de mon handicap moteur et par l’incertitude de l’avenir. Je te réponds « oui » dans un souffle car c’est tout ce que je peux faire à ce moment.

Enfin et après promis, j’arrête, j’aimerais revenir sur l’embrouille de la quasi-dernière fois, en 2012.

Je sens que je fais une nouvelle poussée, exactement sur les mêmes segments corporels que deux ans auparavant. Mon bras et ma jambe gauches fourmillent, j’ai des gros coups de fatigue et mon corps reconnaît illico ce qui l’habite. Pile au moment où les banques et les assurances viennent de pourrir les conditions de mon prêt immobilier à cause du questionnaire de santé.

« Non, cela ne peut pas être une poussée. Il n’y en a jamais deux aux mêmes endroits, surtout à suivre. Rassurez-vous. »

Mais pitié, écoute-moi, je ne raconte pas de salades, tu peux me faire confiance. Et évite le « jamais ». On apprend ça même en pédagogie, c’est dire.


Quatre mois après, je suis revenue te voir avec mon dernier IRM, qui objectivait

« l’improbable » inflammation. Tu t’es sincèrement excusé à la fin de mon plaidoyer et ton humilité m’a touchée.

Grâce à toi, j’ai aussi compris une règle importante : si on ne te demande pas d’arrêt de travail, tu n’en donnes pas, même si on est complètement hors-service. Grossier malentendu pour une fille qui n’aime pas demander, même les deux genoux à terre.


Mais je ne t’en veux vraiment pas car le début d’une maladie est souvent la phase la plus difficile pour le patient. Notre seuil de tolérance chute et c’est un sacré boulot pour celui qui est en face. Les fois où je t’ai fusillé du regard ne me font pas oublier le fil rouge de ta bienveillance, la stabilité de ta voix et… toujours le bleu azur de tes yeux. Chapeau.


« Je ne suis pas inquiet » a été ton leitmotiv à chaque fois que je te questionnais sur mon futur. Je ne voyais pas trop ce qui justifiait ta réponse parce que tu n’avais rien du mage extra-lucide, avec ton petit polo fermé sous ton pull Lacoste mais bon, c’est sympa quand même comme tentative de réassurance. Merci d’avoir essuyé mes plâtres. Les murs ont bien séché depuis.


Tu as quitté ton cabinet quelques mois plus tard pour soigner le cancer qui t’est tombé dessus et je t’ai revu par hasard un an après lors d’un improbable cours de Pilates. On était chacun couchés en équilibre sur notre gros ballon et tu m’as dit : " on apprend et on comprend beaucoup de choses quand on est malade. Cela devrait être obligatoire quand on est médecin. "


Je t’ai souri en espérant fortement ta guérison.


Six mois après, j’avais une nouvelle neurologue en face de moi. J’ai cru que tu l’avais formée au calme, au dévouement, à la gentillesse et la douceur tellement vous aviez cela en commun.

Dr H, merci d’avoir repris le flambeau et de m’apporter votre sourire à chaque consultation. Vous n’avez pas les yeux bleus mais ce n’est pas trop grave car vous répondez sincèrement à toutes mes questions ciblées, même si cela vous demande de vous gratter le menton avant. Evitez de jouer au poker.

Une question en passant : pourquoi vous affichez les photos de votre petite famille sur le bureau, « face patient » ? A quoi ça sert ? On peut venir avec les nôtres pour vous les montrer aussi ?

Une requête, toujours en passant : pourrait-on arrêter une bonne fois pour toutes de passer les « Quatre saisons » de Vivaldi en musique d’attente téléphonique - avec une mention spéciale pour le mouvement très prisé du « Printemps » ? Cela me donne envie de brûler un champ de coquelicots au chalumeau puis de faire un ball-trap avec les oiseaux migrateurs sur le retour.

Attention, je ne vous demande pas non plus de choisir le « Paradis blanc » de M. Berger (risque élevé de perte sèche de clientèle) mais je suggère de taper dans l’original moderne dynamisant : musique cubaine, électro, Pink Floyd… Je crois que Vivaldi reposerait plus paisiblement. Sans vous commander, bien sûr….


Dr H, bravo à vous pour être pleinement disponible à chaque consultation et de ne pas enregistrer vocalement devant moi votre compte-rendu pour la secrétaire. D’autres spécialistes le font pour optimiser le temps de la consultation mais c’est carrément pénible, humainement parlant.

Imaginons l’inverse : « Chers amis – virgule - à la ligne - je vois ce jour le Dr Bidule qui m’a auscultée pour une fracture du bras. Point- A la ligne. Il était très pressé et m’a clairement signifiée que débarquer un samedi soir aux urgences relevait de la faute de goût. Chapeau sur le u - Point. C’était pourtant avant le Covid. Point ».


Et enfin, merci à vous, Professeur E., éminent spécialiste de la SEP, qui m’avez reçue une fois dans votre bureau à l’hôpital -grâce aux bons soins du Dr H- pour un double regard médical, celui que j’attendais depuis plusieurs années.


J’ai vite pigé que j’étais chez THE Boss, rien qu’en vous regardant dix secondes et je peux redessiner mentalement la pièce trois ans après si vous voulez, même si c’était un gros bazar. Vous étiez un concentré d’humanité et la célérité de votre réflexion était juste impressionnante. Vous avez été le seul neurologue à commenter devant moi mes anciennes IRM et à manifester votre étonnement devant le processus de réparation suite à ma poussée inaugurale de 2010. « Comment une moëlle aussi abîmée a-t-elle pu se réparer comme cela ? ». Vous avez été également le seul à m’indiquer que la maladie était dans mon corps depuis bien longtemps déjà, en sourdine.

Votre investissement sans triche ni embarras à mon jeu de la vérité m’a plu.


A ma question « y a-t-il un coefficient directeur dans l’évolution de la maladie en phase secondaire ?», votre « non, pas toujours » prononcé avec une voix ferme et un regard direct me donne encore de l’énergie aujourd’hui. Je me souviens de votre poignée de mains - au pluriel - car vous en aviez une pour serrer, l’autre pour envelopper au -dessus.


Mais je n’ai pas compris pourquoi vous avez tant insisté auprès du service pour demander un repas le midi, alors que je vous disais que le mien m’attendait à l’école. Vous m’avez faite installer dans un bureau avec mon plateau-déjeuner non commandé et ça a mis une sacrée pagaille.

Sur l’instant, j’ai vraiment cru que c’était le repas du condamné. Depuis, j’ai carrément changé d’avis. Un repas d'espérance, c'est toujours bon à prendre.


Sehbée


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