Avant de complètement vivre avec la SEP et commencer franco notre lune de miel, le petit frisson de la polygamie a parcouru les analyses de sang : la maladie de Lyme a pointé le bout de son nez dès le début de mon rétablissement en juin 2010.
Non, pitié…. Foutez-moi la paix…
Puisque je vous dis que je n’ai eu aucune piqûre de tique sur les jambes (c’est le sésame de cette adorable maladie neurologique). Je ne vais pas me taper Lyme en plus…
Puisque je vous dis que je suis monogame…
Juste une hypothèse, a précisé le neurologue.
Mais là, autant il était mou du genou pour me proposer un traitement de fond contre la SEP (j’ai su des années plus tard qu’on aurait dû et pu commencer à ce moment car la Recherche venait de faire un bond sur le sujet), autant il n’a pas hésité à dégainer l’ordonnance pour faire la peau à la nouvelle prétendante.
L’arme de destruction fut massive : 30 jours d’injections d’antibiotiques à raison de 30 mn par jour donc 15 heures de perfusion au total, avec des doses à décimer la vitalité d’ un haras.
C’est fou ce que l’on peut faire par ailleurs en 15 heures : envoyer 900 mails personnalisés mais courts, visionner deux saisons d’une série, parcourir 100 kms en marche rapide, faire 5 fois le tour de la rocade rennaise en voiture aux heures de pointe…
Bref, au lieu de cet éventail excitant, je me suis retrouvée à regarder un liquide passer de la seringue à mon sang, sans savoir si c’était vraiment nécessaire.
Les antibiotiques, c’est automatique en cas de maladie de Lyme, même suspectée.
Les perfusions se faisaient souvent dans ma classe après les cours par un père d’élève infirmier, parfois à mon domicile plus tard le soir et le week-end, avec une infirmière libérale. Ce père d’élève m’a offert un vide-poche en forme de petit ange en plâtre à la fin du traitement, qui correspondait à la fin de l’année et à ma fête d’adieu à cette école. Très mignon ; j’ai eu envie de tracer au marqueur des impacts de piqûre sur les bras potelés du petit ange avec « Fuck Lyme « sur les ailes.
La première fois que j’ai vu les seringues, j’ai cru qu’elles étaient génétiquement modifiées tellement elles étaient grosses. Deux pour chaque perfusion donc 60 seringues usagées qui se sont accumulées dans mon appartement.
Un vrai kif de dealeuse.
J’ai commencé à les assembler pour créer une sculpture d’art contemporain mais ça faisait un peu glauque pour les enfants donc j’ai opté pour un recyclage minimaliste d’artiste inhibée : des seringues porte-encens enfoncées dans de la pâte à modeler pour avoir un support stable. Un détournement d’objet d’un goût douteux, d’une mocheté rare mais un vrai bras d’honneur symbolique, me donnant l’illusion d’être celle qui sourira en dernier à défaut d’avoir le mot de la fin.
Sur le marché de l’art conceptuel, j’aurais peut-être pu percer, dans tous les sens du terme.
On n’a jamais su si j’avais vraiment eu la maladie de Lyme. Mais ça a préparé le terrain.
Mars 2012 : deux ans après la première poussée inflammatoire inaugurale, nouvelle attaque de la gaine de myéline, qui m'ouvre enfin le droit légitime au « traitement de fond », le nœud dans le mouchoir qui va me rappeler tous les jours que j’ai une SEP, même sans symptôme.
Ce n’est pas le droit à l’oubli que j’aurais espéré, c’est celui de remettre le couvert des piquouzes. Mais là, il y a adhésion inconditionnelle donc c’est autre chose que la probable imposture Lyme.
Mon gilet pare-balle s’appelle Copaxone. C’est une substance que je vais m’injecter chaque jour et qui va faire office de « leurre de myéline » pour mes lymphocytes T, ces fameux gros tocards qui confondent gaine de myéline et virus.
L’idée est de les escroquer sur la marchandise. Ils croient grignoter ma petite couche protectrice des nerfs et ils se cassent les dents sur un ersatz, une sous-marque à l’emballage identique, l’acétate de glatimarère, composée de peptides ressemblant à la myéline.
Un vrai coup de poker.
L’adversaire joue face à une partenaire bluffeuse et finit pas se coucher quand les mises des injections quotidiennes augmentent.
En tout cas c’est le script de départ et franchement, ça se tente. Mon ADN de joueuse dit « banco » et je suis prête à « faire tapis » chaque jour quand bien même j’ai horreur des piqûres.
Mon porte-flingue est un stylo injecteur qui par une simple pression fait entrer l’aiguille dans la peau avec exactement le même bruit que l’ingénieux stylo bic 4 couleurs.
J’ai vite appris à détester ce bruit et ai joué au basket -panier- poubelle avec tous les crayons 4 couleurs que j’ai croisés dans les écoles où je suis passée. Une vraie serial killeuse de bic multi-couleurs. Un point pour moi si je visais juste. Le retour dans le pot à crayons si ça tombait à côté.
La première auto-injection s’est effectuée à l’hôpital, avec le tutorat d’une infirmière spécialisée. Quatre zones corporelles à privilégier pour le jeu de fléchettes, à droite comme à gauche donc une cible à huit cercles. Bras, ventre, hanche, cuisse (je ne peux enlever l’image d’une « Macarena » dansée par des clones des « bronzés au Club Med » et c’est un bon moyen mnémotechnique au départ).
Cela permet à la peau de se reposer entre deux passages d’aiguilles, qui, soit dit en passant, mesurent quatre cm. On n’est pas sur des seringues de diabétiques (heureusement pour eux d’ailleurs vu la fréquence de leurs injections).
« Je vous conseille le ventre, pour la première fois, c’est la zone la moins douloureuse ».
Je me suis toujours sentie en décalage avec le fait majoritaire, les généralités. C’est visiblement réciproque. Sitôt le liquide injecté dans l’abdomen, j’ai fait le plus important malaise que je connaîtrai en deux ans. Oppression respiratoire, malaise vagal, syncope. L’impression de mourir. « Plus jamais le ventre ». Je tournerai sur trois zones au lieu de quatre et tant pis pour le repos cutané.
La clé de base, universelle : inspirer, expirer avant, pendant et après chaque injection.
Première variante, ma touche personnelle : transformer le rituel piquant en sobre« instant pour soi », version junkie d’un magazine féminin à la con. Comme il faut que les injections aient lieu à la même heure chaque jour, je choisis 19h et décide que ce sera ma parenthèse journalière de solitude et de repos, ma pause forcée dans mon quotidien d’hyperactivité. Merci la vie, merci la SEP et c’est franchement sincère à ce moment.
Deuxième variante : mon talon d’Achille, la parodie masochiste.
Je fais de la Copaxone mon héroïne, « mon moment tendresse » avec application d’une crème de massage au karité, liant par ce geste plaisir et douleur. J’en rajoute en mettant en scène devant des amis une publicité pour le kit stylo/seringue, façon télé-achat. Cette propension au détournement de ma peur ne me trompe même pas mais ça me fait oublier les bleus aux points d’injection, les saignements quand j’ai piqué dans un vaisseau et les douleurs dont le corps gardera définitivement la mémoire.
Troisième variante : exactement l’inverse, le côté pile de la médaille, à savoir « la face mercenaire du Marche ou Crève » partie intégrante de moi-même.
L’adaptation forcée du moment d’injection à mon emploi du temps et mes envies.
A 19h dans un bar avec des amis ? Au début d’une séance de cinéma ? Au resto ? Juste arrivée à la plage ? Pas encore partie ? Sous une tente en Italie ? Et alors ?
Un petit passage aux toilettes (ou une injection ultra discrète sur site) et hop, c’est fait. Je me suis même amusée à me chronométrer pour battre mon record… sans piger à l’époque qu’il y a erreur sur la cible et que c’est d’abord moi que je maltraite à ce moment. L’arroseuse arrosée en quelque sorte.
Bien sûr, il me faut dans ces moments taire la douleur physique de l’après-injection (qui dure environ 30 mn), continuer de blaguer, rire et trinquer…mais au moins je décide de circonscrire l’injection à ce qu’elle est ; une simple piqûre qui en aucun cas ne m’empêchera de vivre et ne freinera mes élans hédonistes.
On est très loin du cliché du karité et de la pause de la femme active toujours fraîche sous les aisselles qui se repose dans un canapé en cuir blanc en écoutant une sonate de Bach.
La logistique n’est pas hyper simple car le produit se conserve au froid.
Je dois toujours avoir du gel hydroalcoolique sur moi et l’idée d’une seringue ayant servi, à nu au fond de son sac n’est pas vraiment top, même si on n’a pas le HIV… Mais j’aime bien l’idée de l’injection clandestine multi -lieux.
Au bout de six mois, j’en ai eu marre du stylo-injecteur qui m’impose sa vitesse d’injection et donc qui m’enlève mon pouvoir d’action. Son seul atout : on ne voit pas l’aiguille s’enfoncer dans la peau. J’ai donc encore joué au jeu du basket poubelle -panier, mais avec le porte-flingue cette fois et j’ai bien visé.
Tant pis pour la peur panique de la seringue que je me planterai moi-même. Je jouerai à l’infirmière jusqu’ au bout et doserai le rythme du passage du produit dans le derme. Essai réussi et transformé. C’est parti pour un an et demi.
De jolies boîtes jaune- poussin doivent recueillir les aiguilles usagées avant dépôt à la pharmacie et les secouer comme des maracas sur un air de salsa cubaine me donne l’impression de détenir des trophées. Un César dans chaque main c’est quelque chose quand même.
En octobre 2015, je remercie au micro le laboratoire TEVA qui commercialise Copaxone, la MGEN qui assure le remboursement et bien sûr la SEP, sans qui je ne serais pas là, à faire l’imbécile avec mes deux dernières boîtes-trophées. C’est aussi mon « adieu » à Copaxone, qui ne m’a pas empêchée de boîter à la fin de la marche de « On est Charlie » en janvier 2015. Il faut donc changer de braquet. Le handicap visible arrive.
Mon nouveau partenaire s’appellera Tecfidera. Une petite révolution dans notre milieu. C’est le premier traitement oral mis sur le marché et c’est un soulagement cutané.
Deux prises par jour et un seul effet secondaire pour moi parmi la longue liste des possibles : « le flush », à savoir vingt minutes de sensation de brûlures sur le visage et/ou le corps, comme si je m’étais exposée cinq heures au soleil sans crème solaire. L’impression d’être toujours en été, façon Nino Ferrer mais avec une peau assez préservée qui a échappé aux ravages de la surexposition.
Il y a mieux mais il y a pire.
Je l’ai encore six ans plus tard, mais j’attends de voir s’il passera la crise des sept ans.
Pas sûr sûr …
Dans ce cas, ce ne sera pas une si bonne nouvelle : la phase progressive sans poussée a un seul médicament : ses yeux pour pleurer.
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